L’interview de deux infirmières volontaires au Shanti Children’s home
Charlène Faurite, infirmière aux urgences des Romans sur Isère, dans la Drôme, et Estelle Thierse, infirmière aux CHU de Grenoble, sont deux grandes amies qui ont décidé de partir ensemble, durant trois mois, comme volontaires pour le Shanti Children’s Home. Parwana Emamzadah, webmaster du site et de passage quelques jours au Shanti au même moment, en a profité pour les interviewer.
Quelles ont été les motivations de votre volontariat pour le Shanti Children’s Home ?
Charlène
On avait fait un stage au Gabon pendant nos études, alors on a voulu reproduire une telle expérience mais dans un autre pays. On avait aimé découvrir une nouvelle culture. Il fallait alors trouver un autre pays. Au départ déjà, on avait hésité entre l’Inde ou l’Afrique. Puis, on a d’abord eu l’opportunité de l’Afrique, alors on y est allé en premier. Par la suite, on a vu une émission sur un dispensaire fondé par une infirmière française en Inde. On avait contacté cette femme dans l’idée d’éventuellement s’y rendre mais elle n’avait plus de place, elle nous a alors suggéré de contacter Jean-Pierre et Nadia Python, fondateurs du Shanti Children’s Home. À l’origine, on avait plutôt pensé au dispensaire car on est infirmière mais ensuite on s’est dit pourquoi pas un orphelinat. On a alors contacté l’Association des Amis du Sakthi Children’s Home et nous avons été confirmées dans ce nouveau projet ; on allait découvrir un autre univers, faire quelque chose de différent, tout en essayant de lier notre mission là-bas avec le domaine de la santé.
À l’origine, votre démarche n’était donc pas orientée spécialement vers les enfants et les femmes ?
Charlène et Estelle
Non, c’était plus vaste. Le but était de partir et d’être proche de la population. Puis, il y a eu la possibilité de l’orphelinat, avec les enfants et comme nous les adorons nous nous sommes lancées sans trop d’hésitation.
Cela s’est fait très rapidement. Nous avons écrit à Jean-Pierre, qui nous a demandé quand on souhaitait venir. Nos dates semblaient convenir alors nous nous sommes rencontrés. L’entente fut très bonne, cela nous a encore plus motivé.
Est-ce un type de mission que vous comptez refaire, en Inde ou ailleurs ?
Estelle et Charlène
Oui, bien sûr !
Qu’est-ce qui vous a plu dans le fait d’être ailleurs et particulièrement dans des pays en voie de développement ?
Charlène
Moi ce que j’aime, c’est surtout la relation avec les gens. Visiter les sites touristiques m’intéressent moins. Je préfère la relation avec la population. C’est aussi pour cela que l’on souhaitait partir longtemps, à l’intérieur d’une structure où l’on peut être en contact avec la population locale. Le plaisir est de découvrir d’autres cultures et pouvoir grandir grâce à ceux que l’on rencontre.
Estelle
Je suis d’accord, et ce sont aussi des personnes qui vivent dans des conditions très différentes des nôtres. Partir en Allemagne, par exemple, nous apprendrait des choses, bien sûr, mais ce ne serait pas un tel changement, nous serions moins dépaysées. Je trouve vraiment intéressant de voir d’autres conditions de vie.
Quelles ont été vos premières impressions en arrivant en Inde et à l’orphelinat ?
Estelle
L’Inde nous a fait penser à l’Afrique, au Gabon, les routes, les déchets partout, les chiens errants sauf qu’ici il y a les vaches en plus. Mais en arrivant à l’aéroport de Maduraï, on est directement allé à l’orphelinat. Et là, je me suis dit : « Mais comment va-t-on faire pour communiquer ? ». En effet, tout le monde parle tamil et dans la plupart des cas anglais. Or, à ce moment-là, on ne maîtrisait pas bien l’anglais. Finalement, les filles de l’orphelinat n’étant pas tellement timides, elles sont tout de suite venues jouer avec nous, avec des jeux de mains et des chansons, alors tout s’est plutôt bien passé, je dirais, mise à part le problème de langue.
Et par rapport aux filles est-ce que quelque chose vous a surpris ?
Charlène
Non, si ce n’est qu’elles ne sont vraiment pas peureuses, les plus jeunes nous ont tout de suite sauté dans les bras en criant « sisters, sisters » – elles doivent être habituées à recevoir des volontaires. Avec les plus grandes, par contre, la prise de contact fut moins immédiate, elles étaient plus réservées. Il fallait apprendre à se connaître mais cela s’est fait assez rapidement aussi.
Quelles ont été vos premières impressions par rapport au fonctionnement de l’orphelinat ?
Estelle
Il y a des choses toutes bêtes qui m’ont surprises, par exemple, qu’elles mangent par terre avec les mains. En France cela serait très étonnant de le voir mais évidemment pas en Inde ! Sinon, j’ai trouvé qu’elles avaient l’air de s’y sentir bien.
Charlène
J’ai été de manière générale agréablement surprise, même au niveau de l’infrastructure. Avec Estelle, nous avons pensé que c’est très bien aménagé, au niveau des dortoirs, des sanitaires et de l’accessibilité. On avait eu un peu peur au départ, on pensait tout de même que cela n’allait pas être facile, car le Gabon avait été rude. Mais en arrivant, on a compris que ça irait très bien ici. Cela n’a pas été difficile une seule minute. Cela dit, il faut quelques temps pour s’adapter. C’est un changement, il y a une perte des repères. On ne peut pas repartir quand on veut, deux jours après. Les appels sont aussi plus limités à cause de la distance et des opérateurs. Bref, certains repères changent.
Qu’avez-vous constater sur un plus long terme ?
Charlène
On a remarqué qu’au niveau de leur hygiène personnelle, il y avait beaucoup de lacunes, notamment dues à leur éducation et le milieu d’où elles viennent. Nous avons tellement d’habitudes et de règles qui vont dans ce sens chez nous que la comparaison marque un fort contraste.
Le rythme de leur journée m’a frappé aussi, elle est très chargée. Elles se lèvent très tôt, à 5 heure du matin, puis elles vont à l’école, elles rentrent, puis les plus grandes font leur linge avant le study time qui dure deux heures. Tout est très cadencé et celles qui rentrent plus tard de l’école se lèvent plus tôt le matin pour faire leur linge. Le week-end aussi est chargé, elles ont deux heures le matin et deux heures le soir de study time. C’est assez lourd. Les grandes en plus de l’école travaillent quatre heures par jour, si on compte les devoirs et les révisions. Mais apparemment en Inde, comme nous l’ont dit les directrices, c’est très courant, on passe beaucoup de temps à travailler et étudier.
Puis, il y a des habitudes de vie étonnantes encore pour nous aussi : elles préfèrent, par exemple, dormir sur le sol plutôt que sur un lit. Elles disent que chez elle, à la maison, c’était ainsi.
Charlène et Estelle
En tissant une relation avec elles, on a pu remarquer qu’elles sont très matures. Elles s’entraident et prennent soins les unes des autres. Les plus grandes aident parfois les plus petites à se laver ou se changer et quand il y a des disputes elles s’arrêtent entre elles. Elles sont très autonomes et responsables.
Estelle
Elles disent avoir beaucoup de chances de pouvoir facilement aller à l’école et même d’avoir un tel accès à l’eau : « À la maison, disait l’une d’elle, il fallait marcher des heures pour aller chercher de l’eau dans le puit et la porter après. »
Qu’avez-vous pensé du personnel ?
Estelle
J’ai été surprise du nombre d’heures où elles sont présentes ; la directrices, la co-directrice ou encore les cuisinières sont en fait des résidentes. Tout le personnel est proche et attaché aux filles, il y a une belle relation.
Aviez-vous quelques a priori en venant ?
Charlène
Sur l’Inde, oui, car la réaction des gens quand on leur dit que l’on part en Inde est souvent : « Oh, en Inde, mais tu es inconsciente, fais attention à toi, il y a des filles qui se font violer là-bas… ». Nous, nous n’avions pas cette vision de l’Inde – on ne serait pas parti sinon. Bien entendu, il faut faire attention en ne sortant pas la nuit, par exemple. Mais la plupart de ces personnes ne sont jamais aller en Inde, tandis que ceux qui y sont déjà allés ne tenaient pas un tel discours. Ils nous prévenaient simplement du changement de culture et du niveau de vie bien plus bas.
Les gens ici sont d’ailleurs très accueillants, très avenants, les gens sont souriants et discutent avec toi très facilement. Le sud est moins touristique que le nord alors la plupart des autochtones ne vont pas venir vers toi pour te vendre quelque chose ou te demander de l’argent.
Et des a priori par rapport à l’orphelinat ?
Charlène
Non, pas par rapport au Shanti, on avait fait nos recherches sur l’orphelinat, on avait rencontré Jean-Pierre et Nadia, donc on partait plutôt confiante. Mais avant cela, des connaissances nous avaient racontées qu’elles avaient fait un voyage au Viêt Nam, en vue d’aider un orphelinat. Le résultat de leur expérience est que pour un bon mois là-bas, elles ont dû payer 1’200 euros, elles n’ont pas spécialement été en contact avec les enfants et les conditions de vie des enfants étaient loin d’être excellentes. Mais ce genre de situation est malheureusement assez courante, nous a-t-on dit, c’est comme un business : certaines institutions font venir des volontaires et au final ce n’est pas pour faire profiter les enfants.
Quel est votre moment préféré de la journée ?
Charlène et Estelle
On a le même ! C’est de 8 heure, le soir, jusqu’au moment de dire bonne nuit. La journée, elles sont à l’école, on les voit peu. Puis quand elles rentrent, il y a le goûter et le study time donc après dîner, c’est le moment où l’on peut discuter, vérifier qu’elles se brossent bien les dents et se raconter des histoires. C’est un moment de tendresse et de complicité très émouvant. Le « good night » est vraiment un moment privilégié.
Connaissiez-vous avant de venir les enjeux liés à la condition de la femme en Inde ?
Estelle
Oui, un peu, je savais que la femme n’était pas bien considérée, qu’il y avait beaucoup de mariage avant 18 ans et j’avais entendu de nombreuses histoire de viols.
Et en venant ici qu’avez-vous constaté ?
Charlène
J’ai constaté que c’était bien pire au niveau de la considération qu’il pouvait y avoir pour la femme. Très souvent, c’est leur mari qui leur donne le droit de travailler, c’est à son bon vouloir, s’il ne le souhaite pas, sa femme reste alors à la maison s’occuper des repas et des enfants.
Estelle
Oui, en entendant, par exemple, ce que raconte les voisins ou l’histoire de l’ancienne cuisinière, j’ai compris à quel point c’était ancré. Ce qui se raconte est qu’elle ne pouvait pas avoir d’enfant – en réalité, personne ne sait si c’est elle ou lui qui ne peut pas en avoir – mais il va de soi pour tous que c’est de sa faute à elle. Prenons l’exemple encore d’une voisine qui a perdu son mari. On raconte que c’est de sa faute car elle n’a pas su porter chance à son couple. Les veuves sont mal vu, nous a-t-on expliqué, on pense que la mort de leur mari, est un peu de leur faute. Elles devaient être de mauvaises femmes. Néanmoins, personne ne nous l’a dit directement, ce sont des rumeurs qui, par ailleurs, nous ont été traduites du tamil. Mais cela permet de se faire une petite idée. Lorsque nous avons voyagé dans la Rajasthan nous avons remarqué que dans la rue après 18 heure, il n’y a plus une seule femme dehors, pas de femmes non plus qui travaillent dans les restaurants, par exemple. Où sont les femmes ? Chez elles ? Que font-elles ? Pour acheter un billet de train, qui, soit dit en passant, se divise en wagon pour les hommes et pour les femmes, il y a environ cinq guichets ouvert pour les hommes et un seul pour les femmes, les étrangers, les handicapés et les personnes âgées ensemble.
Comment pensez-vous que cela puisse être amélioré ?
Charlène
C’est difficile à dire, mais probablement par l’éducation, c’est comme ça qu’on peut changer les mentalités. Des petits changements sont apparemment visibles à notre échelle, par exemple, lorsqu’on a demandé aux filles ce qu’elles veulent faire plus tard, elles nous ont répondu: médecins, infirmières, enseignantes, chef de la police. Quand on a expliqué cela à Jean-Pierre et Nadia, ils nous ont appris qu’il y a 5 ans elles disaient toutes qu’elles ne savaient pas et que c’était leur mari qui allait décider. Ce sont des petites choses, peut-être que cela ne donnera rien, peut-être aussi qu’elles nous répondent cela pour nous faire plaisir, on ne sait pas mais au moins d’autres perspectives sont présentes dans leurs esprits.
Auriez-vous quelques mots à dire à propos de Jean-Pierre et Nadia ?
Estelle
Dès que je les ai rencontrés, je les ai trouvés très impliqués. On remarque qu’ils donnent leur maximum et qu’ils sont très attachés aux filles. Puis, une fois qu’on les a vu travailler ici, à l’orphelinat, on s’est rendu compte qu’ils se démènent pour que les filles aient ce qu’il leur faut. Cela ne concerne pas uniquement les filles mais plusieurs personnes, si elles sont dans le besoin, ils feront leur possible pour les aider.
Charlène
On a été très impressionné par leur investissement – on l’a vu au quotidien. C’est comme une entreprise à gérer, il y a toujours quelque chose à faire, il y a toujours un problème, mais ils sont toujours là, très motivés et enthousiastes pour d’autres projets. En bref, nous sommes très impressionnées et admiratives.
Charlène et Estelle
On s’est tout de suite bien entendu avec eux, le feeling est bien passé, c’est comme si on les connaît depuis 10 ans. J’ai l’impression qu’on est un peu comme une famille ici. Cela fait 3 mois qu’on se voit tous les jours, il y a une belle ambiance, nous sommes heureuses d’avoir vécu cette expérience avec eux, d’autant plus qu’ils connaissent très bien l’Inde, nous avons pu profiter de leurs connaissances et de leurs expériences.
Qu’est-ce que ce séjour avec les filles vous a appris ?
Charlène
Il nous a appris que nous, dans notre culture, on ne se contente de rien. Un jour, elles ont reçu de nouveaux oreillers, et ça été une telle joie, une vrai fête à l’orphelinat. Elles ont toujours la joie de vivre, elles sont toujours contentes.
Estelle
Cela fait relativiser et l’on remarque qu’on est très souvent en train de se plaindre.
Et qu’est-ce que les filles vous ont apporté ?
Charlène
Beaucoup d’affection, beaucoup d’amour, beaucoup de joie, beaucoup de rire.
Estelle
Elles te sautent dessus, elles veulent des câlins, elles te font des bisous. On a ri beaucoup, et pour des choses parfois surprenantes, comme leur étonnement lorsqu’on leur a dit qu’en France on porte des jeans tous les jours !
Imaginez un livre d’or du Shanti Children’s Home, qu’auriez-vous envie d’écrire dans ce livre ?
Charlène et Estelle
Merci beaucoup ! On a passé de superbes moments. On a vécu une aventure extraordinaire, qu’on n’oubliera pas. « Sweet dream » les filles et n’oubliez pas de vous brosser les dents. On reviendra.
Charlène, Sumathi, Chitra, Nancy, Estelle
Propos recuillis par Parwana Emamzadah, décembre 2017, Samayanallur.